Le passant qui se promène de nos jours sur le Boulevard des Capucines à Paris, lorsqu'il atteint le numéro 14 peut apercevoir une inscription gravée dans la pierre: «Ici, le 28 décembre 1895, eurent lieu les premières projections publiques de photographie animée à l'aide du cinématographe, appareil inventé par les frères Lumière».

La première présentation publique avait attiré une maigre clientèle: 35 spectateurs seulement avaient payé leurs places. Mais dans les jours qui ont suivi, le cinématographe a brusquement attiré les foules.

... Au numéro 14, dans le Grand Café, au sous-sol, dans une ancienne salle de billard rebaptisée «Salon Indien», toutes les places sont occupées. Il fait noir mais au fond, sur un grand panneau blanc, on distingue des personnages, des véhicules, des rues. Ebahis, les spectateurs assistent avec fascination à une sorte de «théâtre d'images». On leur montre tout d'abord la sortie de l'usine Lumière, à Lyon,  puis,  une  querelle  de  bébés.  Dans  la  salle,  on  s'amuse

beaucoup.  Ensuite, c'est le bassin des Tuileries, à Paris. Et soudain, un cri d'effroi: un train roule et s'approche des spectateurs! Certains, dans l'obscurité, se lèvent même de leur siège! Mais on les rassure: tout va bien, le train ne sortira pas de l'écran! On verra encore un régiment en marche, un jardinier arrosant ses fleurs, une partie de cartes et même des vagues sur une plage. La mer! La mer que certains spectateurs ne connaîtront peut-être jamais en réalité...

Vingt minutes plus tard, la représentation est terminée. Les spectateurs se regardent,  surpris,  ahuris mais... enthousiastes. Ils se retournent vers un homme, demeuré à l'arrière, et le félicitent. Celui-ci, l'air jovial, se tient debout, et pose d'une façon un peu théâtrale sa main sur une sorte de petite caisse en bois munie d'une lunette et d'une manivelle. «Je me présente: Antoine Lumière, - dit-il. Ce que vous venez de voir, c'est l'invention de mes deux fils, Louis et Auguste».

Qui sont donc ces MM. Lumière?

Peu de temps après la guerre de 1870, un photographe de Besançon s'installe à Lyon. Il s'appelle Antoine Lumière. Hom­me inventif et à l'esprit très pratique, il fait rapidement fortune en fabriquant des plaques photographiques d'excellente qualité. Avec ses fils, Louis et Auguste, il développe une entreprise et tous les trois, ils se trouvent bientôt à la tête d'une des plus grosses usines de la région Lyonnaise. Ils traitent des affaires avec les Etats-Unis: fournissent des pellicules à Edison, sont en relation d'affaires avec la firme Eastmann-Kodak.

Si Antoine Lumière aime voyager, aime faire la fête, ses deux fils sont des travailleurs acharnés: ils cherchent, ils inventent, ils déposent des brevets. Un des brevets porte sur un point précis: le système d'entraînement de la pellicule qui permet non seulement de prendre de nombreuses photographies d'un même mouvement mais aussi de pouvoir les projeter de façon nette, sans saccade, pour que le public ait l'impression de voir le mouvement réel. Lorsqu'on demandait à Auguste Lumière comment leur était venue l'idée de ce dispositif, il répondait: «C'est mon frère qui, par une nuit d'insomnie, a inventé ce procédé. Il a pensé aux machines à coudre qui, elles aussi, font défiler le tissu de façon régulière mais avec un temps d'arrêt pour permettre à l'aiguille d'introduire le fil. C'était l'invention d'un autre Lyonnais, au début du XIX siècle, Barthélémy Thimonnier. Pour les images du cinématographe, c'est la même chose: il faut que les images défilent mais il faut aussi qu'elles s'arrêtent au moins un douzième de seconde pour être vues par l'œil du spectateur». Par des mots simples, Auguste Lumière expliquait une des plus grandes inventions dans l'histoire de l'humanité - la cinématographie.

. Petrenko "le Français")