Après avoir failli mourir une ou deux fois, le Festival d'Avignon, vraisemblablement le plus célèbre festival de théâtre du monde, est devenu une institution saisonnière imposante, une unité de temps (un petit mois) et de lieu (une petite ville entourée de remparts).
 

La géographie d'Avignon est une dramaturgie de la vie théâtrale en France. Un rite hétéroclite, entre la fête et le marché, la consommation et la réflexion. Peu importe d'ailleurs que le Festival soit encore ou non une nécessité, une opportunité : c'est un fait établi. Du In au off, de 11 h du matin jusqu'à une heure très avancée de la nuit, on y fait du théâtre.

Photo souvenir : Vilar répétant avec Gérard Philipe dans la Cour d'honneur du Palais des Papes. Cette enceinte de pierre blanche, haute comme une falaise, l'avait ébloui à la première rencontre. Lieu sublime, mais périlleux pour le théâtre (un plateau de 40 m sur 20 m, des nuits de mistral, un exercice très difficile pour le décorateur comme pour les comédiens...), elle reste un défi pour les metteurs en scène. Certains, parmi les plus grands, ont patienté longtemps avant de s'y mesurer (Mnouchkine avec les Shakespeare, Chéreau avec Hamlet), d'autres, tel Peter Brook, ont préféré s'installer dans les anciennes carrières aux abords de la ville. Le Soulier de satin de Claudel, monté en 1988 par Antoine Vitez, a marqué une apothéose en même temps qu'un ressourcement de l'esprit qui animait Jean Vilar : défi d'un texte fleuve jamais présenté en intégralité, onze heures de théâtre de la tombée de la nuit au lever du jour, un texte protéiforme, sauvage même et qui parle des continents, de la découverte des nou­veaux mondes, des rencontres brutales entre les civilisations.

 De l'aventure à l'entreprise

 

Dès les années 1960, le Festival s'est ouvert à la danse, au cinéma, les repré­sentations ont investi toute la ville, parfois même au-delà. On rencontre du spectacle partout (surtout depuis la création du off après 68), dans les cloîtres - nombreux dans cette ville qui fut un temps siège de la papauté -, les lycées, les anciennes manufactures... On revient électrisé par la fièvre avignonnaise, tous les nouveaux spectateurs vous le diront. L'aventure improvisée des débuts s'est rapidement transformée en entreprise régulière. C'est la rançon du succès. Vilar s'interrogeait déjà en 1964 : «Que représentent ces festivals de l'été aux yeux du public ? Tourisme ? Nuits d'été dans les enceintes historiques ? Shakespeare en veux-tu-en voilà ? Accroissement des recettes des commer­çants ? Est-ce que les festivals n'ont d'autre ambition que de faire partie de la panoplie de l'homme moderne : Frigi­daire, télévision, 2 CV? [...] Le théâtre ne joue bien son rôle, il n'est utile aux hommes que s'il secoue ses manies col­lectives, lutte contre ses scléroses, lui dit comme le père Ubu : merdre !»

Le risque, l'intuition et l'obstination doivent rester les vertus du Festival, ne serait-ce que pour justifier sa raison d'être au milieu des dizaines de festivals de l'été. Il doit être un lieu d'éclosion pour des démarches artistiques ambi­tieuses, il devrait aussi être un regard sur les productions du monde entier, bref, un lieu d'hospitalité ouvert aux artistes et aux troupes, favorisant les rencontres et le dialogue. Chaque année, le Festival accueille un pays ou un continent (l'Amérique latine cette année). Le prin­cipal reproche qu'on lui adressera concerne sa tendance à dériver vers une politique de programmation plus que de création et d'authentique découverte.

 

Le théâtre en débat

 

La discussion, le débat, les rencontres entre le public et les artistes n'ont en tout cas jamais faibli en intensité. Elles ont leurs institutions bien vivantes : débats organisés par les CEMEA, Rencontres du Verger tous les après-midi, où les specta­teurs se font les critiques des spectacles de la veille, où artistes, intellectuels, jour­nalistes confrontent les démarches. Dans le off, la rumeur et le bouche à oreille jouent le rôle essentiel dans le succès des spectacles nouveaux. Année après année, Avignon reste incontestablement une for­midable école de formation - informelle et libre- du spectateur à l'analyse esthé­tique, à l'histoire du théâtre, à la tolérance aussi envers la nouveauté, la radicalité des projets des artistes. Dans cette enceinte, avec le plaisir du théâtre sous toutes ses formes, subsiste une utopie éducative chaleureuse.

Le 53e Festival d'Avignon s'ouvre sur Henry V de Shakespeare dans la nuit, le fracas de la bataille d'Azincourt, les intrigues politiques entre la France et l'Angleterre (lire ci-contre). Des milliers de spectateurs venus du monde entier vont se réunir en silence pour voir et entendre des paroles d'hier et celles d'aujourd'hui, pour vivre ensemble des moments de création. Dans tous les lieux du Festival In (plus de 40 spectacles), dans les salles souvent confidentielles du off (400 spec­tacles, et plus). C'est par leur attention, leur fidélité qu'ils font vivre une chose extrêmement fragile : le théâtre.

daniel malbert

 AVIGNON EN CHIFFRES

·        1947 Jean Vilar et Paul Puaux lancent la «Semaine dramatique» d'Avignon. 3 spectacles.

·        1968 Création du festival Off. Départ de Jean Vilar

·        Le Festival rassemble 20 spectacles, 50 aujourd'hui

·        Budget : 40 millions de francs

·        110 000 spectateurs (sans compter le Off

·        Directeur : Bernard Faivre d'Amer (depuis 1993)

 

LE FRANÇAIS DANS LE MONDE • N° 305