Historique de l’Université
 

Avant l’Université de Paris

 

L’enseignement supérieur en Europe dans l’Antiquité et au Moyen-Age.

 

Issu principalement du dialogue socratique et de la pratique des écoles philosophiques de Platon, d’Aristote et des stoïciens, l’enseignement supérieur était dispensé, jusqu’à la conversion de Constantin au christianisme (313), par des maîtres qui exerçaient à titre privé. Il faudra attendre la création de l’« auditorium1 » impérial byzantin institué à Constantinople en 425 par Théodose II pour qu’apparaisse la première Université d’état de l’espace européen.

Celle-ci couvrira pratiquement tous les domaines du savoir de l’époque et elle sera appelée pour cette raison un « studium generale », c’est-à-dire une « école générale » au sens disciplinaire du terme. Au reste, c’est comme établissement d’enseignement supérieur officiel que cet auditorium est directement à l’origine de l’Université de Bologne, qui sera fondée en 1158 par l’empereur Frédéric Ier Barberousse pour restaurer le droit romain dans l’Occident médiéval. Mais l’institution de cette université, limitée d’abord aux disciplines juridiques, avait été précédée par la création des écoles médicales de Salerne et de Montpellier, qui étaient déjà célèbres au XIe siècle et qui avaient un caractère professionnel en dehors de toute tutelle étatique.

C’est au cours du XIIe siècle qu’apparaîtra la corporation des maîtres et des étudiants parisiens qui introduira, parallèlement à l’école théologique épiscopale du cloître Notre-Dame, l’enseignement des arts libéraux - la grammaire, la rhétorique et la dialectique d’une part, l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique d’autre part. Cet enseignement de caractère privé - « universitas » signifie corporation - avait été notamment illustré au début du siècle par Abélard, dont les audaces dialectiques avaient suscité la réprobation de l’autorité ecclésiastique. Au reste, si elle n’est pas la première corporation de maîtres et d’étudiants au Moyen-Age, l’Université de Paris est la plus ancienne comme « studium generale » en Europe occidentale, où elle enseignait seule toutes les disciplines avant 1200. C’est pourquoi les maîtres et les étudiants étrangers étaient déjà nombreux à Paris avant cette date.


La première moitié du XIIIe siècle

 

La constitution du corps universitaire parisien reconnu successivement par le roi et par le pape.

 

En 1200, la police royale réprima sauvagement un incident entre les bourgeois de Paris et la corporation universitaire parisienne. Celle-ci se plaignit au roi Philippe Auguste qui prit sa défense en accordant à ses membres - maîtres et étudiants - le privilège d’être soumis à la juridiction ecclésiastique pour les fautes dont ils se rendraient coupables. Ce privilège était important à une époque où l’Eglise et son droit écrit garantissaient contre l’arbitraire ceux qui en étaient dotés. Le monarque reconnaissait ainsi la corporation universitaire parisienne, à laquelle il donnait une existence légale.

Cette reconnaissance avait ses limites puisque depuis le haut Moyen Age le permis d’enseigner - autrement dit la licence - était de la compétence exclusive de l’évêque ou de son chancelier. Mais au début du XIIIe siècle, celui-ci exigeait des candidats le paiement de droits arbitraires pour leur accorder cette licence, et les maîtres et les étudiants parisiens demandèrent au pape Innocent III de mettre fin aux abus dont ils étaient les victimes. Celui-ci, qui avait étudié à Paris, provoqua un arbitrage aux termes duquel le chancelier épiscopal devra accorder gratuitement la licence, en se conformant au jugement respectif des maîtres spécialisés dans les quatre disciplines enseignées à Paris : la théologie, le droit ecclésiastique, la médecine et les arts libéraux (1213). Telle est l’origine des quatre Facultés - théologie, droit2, médecine, arts - de l’ancienne Université de Paris avant la Révolution. Au départ, ces dernières sont exclusivement des jurys d’examen compétents3 pour les quatre disciplines concernées.

En 1215, Innocent III confirme cet arbitrage en reconnaissant à son tour le corps universitaire parisien, dont il fixe certaines dispositions statutaires que Grégoire IX précisera en 1231. Désormais, l’Université dispose d’un statut garanti par l’autorité laïque et par l’Eglise, et elle crée progressivement deux grades qui s’ajoutent à la licence dans le cursus et qui garantissent son autonomie corporative au regard du chancelier épiscopal : le baccalauréat - ou déterminance - avant la licence d’une part, la maîtrise ou doctorat après cette dernière d’autre part.

Mais en entrant dans l’Université, l’écolier doit se placer sous l’autorité d’un maître qui lui servira de tuteur pour la durée de ses études. Le corps universitaire parisien recrutant ses membres dans l’ensemble du monde occidental, les étudiants choisissent de préférence ce tuteur parmi leurs compatriotes qui enseignent à Paris. C’est ainsi que les maîtres et leurs élèves constitueront rapidement dans ce corps quatre groupes régionaux qu’on appellera les « nations » de France, d’Angleterre4, de Picardie et de Normandie. Ces « nations » auront le privilège d’élire pour une durée limitée le recteur de l’Université.

 

Le XIIIe siècle

 

L’apogée de l’Université de Paris médiévale, les conflits internes et la fondation de la Sorbonne.

 

À partir de 1250, la notoriété du corps universitaire parisien est sans partage en Europe. La Faculté des Arts possède de grands maîtres qui enseignent la science et la métaphysique d’Aristote dans la tradition rationaliste d’Averroès. Quant à la Faculté de Théologie, elle tente une synthèse audacieuse entre l’aristotélisme et la théologie chrétienne. Les noms d’Albert le Grand et de Thomas d’Aquin sont étroitement liés à l’élaboration de cette synthèse dogmatique.

Ces deux théologiens (Albert le Grand et Thomas d’Aquin) appartenaient à l’ordre dominicain qui s’était installé avec les franciscains sur la rive gauche de la Seine, où les « artiens5 », les médecins et les juristes s’établissaient progressivement depuis le XIIe siècle, en quittant par étapes l’île de la Cité. Habitués à la vie de couvent et rompus au travail intellectuel en équipe, les Dominicains et les Franciscains donnaient aux sciences religieuses et profanes un essor qui permettait à ces religieux de conquérir pacifiquement la majorité des chaires magistrales à la Faculté de Théologie, si l’on n’y prenait pas garde.

Consciente du danger que représentaient les Dominicains et les Franciscains qui dépendaient directement du pontife romain, l’Université tenta de s’y opposer par tous les moyens après 1250. Mais, en 1255, elle fut contrainte par le pape d’admettre les religieux dans le corps universitaire. Le conflit, qui aura de nombreux rebondissements par la suite, laissera des traces indélébiles dans la tradition nationale. En dépit de leur caractère clérical, l’Université et sa Faculté de Théologie manifesteront désormais une certaine hostilité aux religieux auxquels elles refuseront toujours de confier des responsabilités dans la corporation universitaire.

C’est notamment pour concurrencer entre autres l’influence des Dominicains et des Franciscains à Paris, que Robert de Sorbon, qui était maître en théologie au cloître Notre-Dame, fonda en 1253 le collège qui porte son nom. Chapelain de Saint-Louis, Robert agissait sur l’ordre du roi qui reconnaîtra solennellement la Sorbonne en 1257. À l’instar des couvents dominicains et franciscains, celle-ci était une communauté religieuse. Mais, à la différence de ces couvents, elle était un collège de prêtres séculiers et d’étudiants pauvres qui disposaient d’une bourse pour se préparer au sacerdoce dans le siècle.

Le prestige de cette institution de fondation royale favorisa l’essor de nombreux collèges sur la rive gauche de la Seine dans la seconde moitié du XIIIe siècle et à la fin du Moyen-Age. Au départ, ces collèges sont exclusivement des pensions réservées aux étudiants pauvres. C’est notamment à partir du XVe siècle qu’ils deviendront des établissements d’enseignement. Avant la Renaissance, les cours de la Faculté des Arts avaient lieu rue du Fouarre, près de la Seine, où les maîtres louaient des salles pour donner leur enseignement.

 

La fin du XIIIe siècle et le XIVe siècle

 

Les polémiques philosophiques et théologiques et les débouchés des étudiants.

 

À la fin du XIIIe siècle, l’Université de Paris est marquée par les querelles philosophiques et théologiques qui opposent les partisans de l’aristotélisme d’Averroès à l’interprétation chrétienne de la pensée d’Aristote, telle qu’elle avait été enseignée par Thomas d’Aquin (+1274). Mais la polémique est si grave pour l’Eglise et pour la foi chrétienne qu’en 1277, le pape et l’évêque de Paris estimeront nécessaire de condamner la doctrine de Thomas d’Aquin, qui ménageait encore trop à leurs yeux ses adversaires averroïstes. C’est seulement au début du XIVe siècle que l’Eglise canonisera et réhabilitera Thomas d’Aquin. Mais en raison de l’audience internationale de l’université parisienne, le pape Nicolas IV accorde en 1292 aux étudiants qui ont obtenu la licence à Paris le privilège d’enseigner dans toute la chrétienté romaine. Jusqu’ici cette licence parisienne avait comme les autres une compétence diocésaine.

Le XIVe siècle sera marqué entre autres par le problème des débouchés des étudiants. A une époque où l’Eglise commande la vie intellectuelle et culturelle de la chrétienté, les emplois susceptibles d’être occupés par les gradués des universités - dans l’enseignement, dans l’administration ou ailleurs - exigent généralement la possession d’un bénéfice ecclésiastique pour assurer la subsistance des intéressés. Celui-ci leur est accordé par le pape - qui réside à Avignon à cette époque - contre le paiement de lourdes taxes au trésor pontifical. Cette fiscalité parasitaire accentue la crise économique et sociale du Moyen Age tardif, en suscitant des protestations universitaires qui figurent parmi les causes du Grand Schisme d’Occident.


La fin du XIVe siècle et le début du XVe siècle

 

Le Grand Schisme d’Occident, la querelle entre les Armagnacs et les Bourguignons, et le procès de Jeanne d’Arc.

 

Pendant le Grand Schisme d’Occident (1378-1417) qui oppose la papauté romaine à la papauté avignonnaise soutenue par la France, l’Université participe étroitement à la querelle entre les deux pontifes, qui seront un moment au nombre de trois à se disputer la tiare. Cette participation s’imposait à une époque où les maîtres et les étudiants avaient un statut clérical. L’Université de Paris jouera d’ailleurs un rôle décisif dans l’issue du conflit, puisque c’est grâce à l’action de son chancelier, le célèbre Jean Gerson, que le concile général réuni à Constance entre 1414 et 1418 permit de mettre fin au schisme. Pendant ce concile général et pendant celui qui le suivit à Bâle entre 1431 et 1449, les universitaires parisiens seront les premiers à réclamer le contrôle de l’absolutisme pontifical par l’Eglise et une meilleure gestion des bénéfices ecclésiastiques qui commandaient leurs carrières. Leur échec sur l’un et l’autre point est l’une des causes de la Réforme.

Il faut rappeler également la position de l’Université dans les luttes civiles provoquées à l’époque par la démence de Charles VI. Etant donné le coût des études et de leurs débouchés, les universitaires du XIVe et du XVe siècle se recrutaient notamment dans les familles bourgeoises de Paris et des villes du nord de la France et des Pays-Bas, qui étaient plus riches que d’autres parce que sans être exclusifs, les échanges nombreux et divers entre la capitale et les régions septentrionales de l’Europe avaient favorisé leur fortune commune.

Les liens qui unissaient les universitaires à l’aristocratie marchande de la capitale et des autres villes du nord apparurent au grand jour quand le duc de Bourgogne, Jean sans Peur, qui avait les Flandres et les Pays-Bas dans son domaine, s’allia aux représentants de l’aristocratie municipale parisienne contre le parti armagnac, qui représentait majoritairement la France rurale et féodale à laquelle appartiendra Jeanne d’Arc. Comme les bourgeoisies urbaines du Nord avaient également des rapports commerciaux avec l’Angleterre, le parti bourguignon traita avec les Anglais après la défaite d’Azincourt (1415) et l’assassinat de Jean sans Peur (1419), et l’Université, qui avait choisi ce parti, approuva le traité de Troyes (1420) qui transmettait la couronne de France à Henri VI de Lancastre à la mort de Charles VI (1422). C’est pourquoi après avoir pris Orléans et fait sacrer Charles VII à Reims (1429), Jeanne d’Arc échouera devant Paris, et sera condamnée au bûcher par un tribunal ecclésiastique (1431) présidé par un maître universitaire influent, Pierre Cauchon, devenu évêque de Beauvais.



 

La fin du Moyen-Age

 

L’Université soumise au Parlement de Paris, François Villon, la première imprimerie française en Sorbonne.

 

L’Université avait joué un rôle décisif dans la condamnation de Jeanne d’Arc et Charles VII s’en souviendra quand, à la faveur du renversement de la situation provoqué par l’héroïsme et le supplice de la Pucelle, il put rentrer dans sa capitale en 1436. Soucieux de contrôler à l’avenir le corps universitaire dans ses débordements, le roi le soumettra à la juridiction du Parlement de Paris en 1446.

L’Université fit grève pour protester contre cette décision qui la plaçait sous la tutelle royale, sans la libérer de l’arbitraire pontifical avec lequel la monarchie française cherchera progressivement un accord pour contrôler seule à son tour les études, l’accès aux bénéfices ecclésiastiques et la carrière des étudiants. En attendant cet accord lointain, Charles VII et le pape réformèrent ensemble le corps universitaire et le régime de ses Facultés en 1452. Mais les années qui suivirent immédiatement cette réforme furent marquées par des grèves et des manifestations étudiantes très violentes, auxquelles participa un écolier parisien appelé à la célébrité, le poète François Villon.

Ces incidents n’empêchaient pas l’Université de suivre son cours dans l’air du temps. C’est ainsi qu’en 1470, à l’initiative de Louis XI, le bibliothécaire de Sorbonne, Guillaume Fichet, installa la première imprimerie française dans la maison.

 

La première moitié du XVIe siècle

 

Le concordat de 1516, la Renaissance française et la fondation des lecteurs royaux.

 

Il fallut les guerres d’Italie (1494-1515) pour que la monarchie française, victorieuse à Marignan (1515), établisse une tutelle sans partage sur l’Eglise gallicane6 et sur le corps universitaire parisien. François Ier profita effectivement de sa victoire pour signer avec le pape Léon X le concordat de Bologne (1516), qui accordait au roi un pouvoir discrétionnaire sur l’accès des gradués des universités aux bénéfices ecclésiastiques - évêchés, abbayes, prieurés- en France.

Mécontente d’avoir perdu définitivement la possibilité de contrôler les nominations à ces bénéfices, l’Université essaya par tous les moyens d’empêcher la ratification du concordat par le Parlement de Paris qui partageait ses sentiments. Mais elle dut se soumettre avec celui-ci à la volonté royale qui manifestait de cette manière l’émergence de l’absolutisme monarchique.

Solidement appuyé sur la foi catholique et la papauté, cet absolutisme permettra à la France d’éviter la rupture de la Réforme luthérienne qui éclatera en 1517 en provoquant la division religieuse de l’Allemagne. Pour sa part, l’opposition persistante des corps constitués au concordat suscitera exclusivement l’essor d’un gallicanisme universitaire et parlementaire soucieux de limiter le pouvoir absolu du pape au spirituel et du roi au temporel. Mais ce gallicanisme ne rejetait pas la foi catholique, et l’Université et sa Facultéde Théologie soutiendront fermement avec le Parlement la répression du protestantisme par le pouvoir royal sous François Ier et ses successeurs.

En outre, François Ier critiquait l’enseignement des facultés parisiennes qui n’introduisaient pas dans leurs méthodes pédagogiques les disciplines nouvelles, issues de la Renaissance et de l’humanisme. Fondées principalement depuis le Moyen-Age sur la pratique du syllogisme et sur la réflexion scolastique, ces méthodes ignoraient la rhétorique antique et les langues anciennes - latin classique, grec, hébreu - qui permettent seules d’avoir une connaissance critique de la Bible et des textes anciens et de répondre de cette manière aux impératifs intellectuels et culturels de l’époque.

Assurément, certaines de ces disciplines s’étaient progressivement introduites dans les collèges de la Faculté des Arts depuis le XVe siècle. Mais elles n’étaient pas encore entrées officiellement dans les programmes universitaires, et cette lacune empêchait les élites religieuses et laïques d’avoir une formation adaptée aux missions respectives qui les attendaient pour exercer correctement leurs fonctions dans l’Eglise et dans l’Etat à l’époque de la Renaissance.

Ce fut le mérite de François Ier et de son entourage éclairé - Marguerite de Navarre, sœur du roi, l’humaniste Guillaume Budé, l’évêque Jean du Bellay - de comprendre la nécessité d’introduire dans l’Université un groupe de lecteurs payés par le roi et spécialisés dans l’enseignement des disciplines humanistes pour insérer définitivement ces dernières dans les collèges parisiens. L’institution de ces lecteurs en 1530 est à l’origine du prestigieux Collège de France qui existe encore aujourd’hui.

 

La fin du XVIe siècle et le début du XVIIe siècle

 

Les guerres de religion, le règne d’Henri IV, Richelieu et la Sorbonne.

 

Pendant les guerres de religion qui opposèrent les catholiques aux protestants entre 1562 et 1594, l’Université de Paris montra une hostilité persistante au protestantisme. Le système des bénéfices ecclésiastiques commandait toujours la carrière des maîtres et des étudiants, qui auraient perdu leurs débouchés traditionnels si les réformateurs calvinistes l’avaient emporté.

Avant l’entrée d’Henri IV à Paris en 1594, l’Université adhéra officiellement à la Ligue, qui jouissait d’un pouvoir absolu dans la capitale et qui défendait même la candidature d’une infante espagnole au trône de France contre le roi légitime. C’est pourquoi elle dut se soumettre à celui-ci quand il fut maître de la capitale.

Pour affirmer son pouvoir exclusif sur les maîtres et les étudiants, Henri IV réforma seul l’Université, sans le consentement du pape, en 1600. Il manifestait de cette manière l’émergence d’un gallicanisme royal, qui n’était pas aussi radical que le gallicanisme universitaire et parlementaire, mais qui n’en défendait pas moins avec intransigeance les droits régaliens du souverain contre les empiétements de la Cour romaine acquise à la Contre-Réforme.

Premier ministre de Louis XIII entre 1624 et 1642, le cardinal de Richelieu pratiquera approximativement la même politique universitaire et religieuse que Henri IV. Proviseur du collège de Sorbonne, qui était le siège de la Faculté de Théologie parisienne depuis 1554, il en reconstruisit somptueusement les bâtiments sur les plans de l’architecte Lemercier.

 

Le règne de Louis XIV (1643 - 1715)

 

La Fronde, la querelle janséniste, la réforme des études juridiques, le gallicanisme royal et le cartésianisme censuré.

 

Pendant la Fronde (1648 - 1652) qui éclata à Paris et en province pendant la minorité de Louis XIV, l’Université, toujours proche de la bourgeoisie parisienne, prit parti pour le Parlement dans les premiers temps du mouvement insurrectionnel. Mais son attitude fut beaucoup plus réservée pendant la Fronde des princes, qui permit ensuite au Parlement de se réconcilier avec la régente.

En revanche, l’Université et sa Faculté de Théologie jouèrent un rôle décisif aux origines de la querelle janséniste, qui peut être considérée au point de vue politique comme un épisode de la Fronde parlementaire. Cette Faculté ayant censuré, à l’issue d’un vote contesté, cinq propositions dogmatiques de l’Augustinus de Jansénius condamné par le pape en 1642, les théologiens, hostiles à cette censure, obtinrent du Parlement qui partageait leur point de vue l’interdiction de poursuivre le débat sur le sujet. Il s’ensuivit une longue querelle sur la grâce et le libre-arbitre qui se poursuivit après la Fronde, en opposant jusqu’au XVIIIe siècle les jansénistes et les partisans du gallicanisme universitaire et parlementaire aux ultramontains7 et aux jésuites favorables à l’absolutisme religieux du pape et du roi. On sait qu’au cours de cette querelle, Pascal ridiculisa la Faculté de Théologie de la Sorbonne dans les Provinciales (1656).

Pendant le règne personnel de Louis XIV (1661 - 1715), Colbert, principal ministre du roi, opéra une importante réforme des études juridiques qui comprenaient exclusivement à Paris le droit ecclésiastique depuis les origines. En 1679, il introduisit dans la Faculté de Droit de la capitale l’enseignement du droit civil - c’est-à-dire du droit romain - et du droit français en plein essor.

Colbert voulait soustraire de cette manière les études juridiques à l’emprise du droit canonique, qui servait la primauté pontificale au détriment de l’autorité royale en conflit avec Rome à cette date pour la défense de ses intérêts régaliens. C’est dans cet esprit que Colbert demandera aux évêques français de définir leur doctrine sur les pouvoirs respectifs du roi et du pontife romain. Telle est l’origine de la Déclaration gallicane en quatre articles qui sera adoptée par l’épiscopat français en 1682 et qui constituera la charte fondamentale de l’enseignement du gallicanisme dans l’Université jusqu’au XIXe siècle.

Le jansénisme s’inspirant d’un rationalisme doctrinal qui l’apparentait à la philosophie de Descartes, l’Eglise et le pouvoir royal interviendront à différentes reprises jusqu’à la fin du règne de Louis XIV pour empêcher l’enseignement du cartésianisme dans l’Université.

 

La première moitié du XVIIIe siècle

 

La querelle de l’Unigenitus, l’enseignement du cartésianisme et la naissance d’un esprit nouveau.

 

Avant de mourir, Louis XIV avait demandé au pape, à l’instigation des jésuites, de condamner solennellement le jansénisme qui troublait toujours l’Eglise et le corps universitaire en contestant l’absolutisme royal et pontifical. C’est pourquoi le pontife publia à cet effet la bulle Unigenitus (1713), qui suscita immédiatement contre elle une opposition déclarée au Parlement, dans l’Université et même auprès de nombreux théologiens parisiens.

Le duc d’Orléans, qui exercera la Régence (1715 - 1723) après la mort du Grand Roi, pratiquant une politique radicalement différente de celui-ci, l’opposition janséniste prit un caractère insurrectionnel au sein du corps universitaire et dans le pays. Il faudra attendre la majorité de Louis XV et la politique pacifiste de son ministre d’Etat, le cardinal de Fleury (1726 - 1743), pour que la Faculté de Théologie et l’Université acceptent définitivement l’Unigenitus.

Cependant, même s’il avait fini par sévir contre les opposants à la bulle, le Régent avait singulièrement libéré les esprits en permettant, par sa politique tolérante, l’enseignement du cartésianisme à la Faculté des Arts. Au reste, celle-ci profita tout particulièrement de la sollicitude du duc d’Orléans, qui accorda en 1719 la gratuité des études aux écoliers « artiens8 ».

La querelle religieuse s’étant momentanément assoupie, les années comprises entre 1730 et 1750 furent marquées par l’évolution des mentalités qui accompagna l’essor économique de la France et qui favorisa la naissance d’un esprit scientifique dans la corporation universitaire parisienne. À partir de cette époque, la physique de Newton remplaça peu à peu celle de Descartes dans l’enseignement des collèges. La Faculté de Théologie participait elle-même au mouvement en professant un optimisme et un syncrétisme doctrinal dont le jeune Turgot9 - le futur ministre de Louis XVI - sera l’interprète en affirmant en 1750 comme prieur de Sorbonne sa foi dans les progrès de l’humanité.

À cette époque, l’essor des sciences expérimentales est marqué par le rapprochement qui s’opère entre la formation des médecins et celle des chirurgiens qu’un nouveau statut, approuvé par édit royal en 1743, contraint d’être maîtres ès arts pour exercer leur profession. S’ils n’étaient toujours pas membres de la Faculté de Médecine, les chirurgiens appartenaient désormais à l’Université comme « artiens ».Enfin, il faut signaler comme un signe des temps la fondation en 1746 du concours général des collèges qui existe encore aujourd’hui.

 

La seconde moitié du XVIIIe siècle

 

La censure de la philosophie des Lumières, le départ des jésuites et la réforme de l’Université.

 

À la fin de 1751, un jeune théologien défendit implicitement dans une thèse le sensualisme de Condillac et le matérialisme de l’époque. L’impétrant suscitant une polémique parce qu’il avait participé à la rédaction de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert qui venait de paraître, la Faculté de Théologie dut annuler cette thèse et montrer désormais un zèle intransigeant au service de la foi catholique. C’est ainsi qu’elle faillit censurer Montesquieu et Buffon10, avant de condamner successivement Rousseau, Marmontel, l’abbé Raynal et l’abbé de Mably.

Les jésuites étant intervenus activement dans cette polémique, la querelle religieuse et philosophique interféra avec la conjoncture politique en provoquant en 1762 la suppression, sur ordre du Parlement, de la Compagnie de Jésus qui dirigeait quatre-vingts pour cent des collèges français11. Telle est l’origine de l’agrégation de l’Université, qui fut instituée en 1766 pour recruter des professeurs appelés à remplacer les religieux exilés.

On profita du départ des jésuites du Collège Louis-le-Grand pour faire de celui-ci le siège de l’Université. Pour sa part, la Faculté de Droit, qui était à l’étroit dans ses anciens locaux, put s’installer dans le bâtiment spacieux que l’on construisit pour elle sur la Montagne Sainte-Geneviève, et qui est aujourd’hui le siège des Universités Paris 1 et Paris II. Quant à la Faculté de Médecine, elle occupa l’immeuble abandonné par les juristes. Les médecins excluaient toujours la pratique expérimentale et ils étaient mal vus du pouvoir qui les défavorisa au profit des chirurgiens pour lesquels on construisit les bâtiments somptueux de l’Académie de Chirurgie qui seront ceux de l’Ecole de Médecine après 1789.

 

La Révolution de 1789

 

L’Université approuve la Révolution jusqu’en 1790, la Constitution civile du clergé, le rapport de Condorcet sur l’Instruction publique.

 

Au printemps de 1789, le corps universitaire participa activement aux élections aux Etats généraux12 qui devaient s’ouvrir à Versailles le 5 mai, et l’abbé Dumouchel, professeur au Collège de la Marche et recteur, fut choisi comme député du clergé dans cette assemblée des trois ordres de la nation. L’Université de Paris souhaitait des réformes comme l’ensemble du pays, et elle manifesta son accord avec la Révolution jusqu’à la fin de l’année 1790.

Cependant, le 12 juillet 1790, l’Assemblée nationale constituante, issue des Etats généraux, avait adopté la Constitution civile du clergé que Dumouchel fut l’un des premiers à voter et à approuver par serment. Le Recteur était dans l’esprit du jansénisme et du gallicanisme universitaire et parlementaire en acceptant cette constitution qui mettait fin à l’absolutisme du pape et du roi. Mais celle-ci supprimait les bénéfices ecclésiastiques qui commandaient la carrière des maîtres et des étudiants et elle fut refusée par la majorité d’entre eux.

Ce refus, de caractère corporatif, faisait de l’Université une institution contre-révolutionnaire et il était dans la logique des évènements, puisque la Révolution devait supprimer toutes les corporations d’Ancien Régime. C’est pourquoi, étroitement surveillé par le pouvoir, le corps universitaire dut réduire ses activités par étape en attendant sa disparition définitive en 1793.

Pour remplacer les Universités supprimées, les deux premières assemblées révolutionnaires, la Constituante et la Législative, proposèrent respectivement la création d’institutions éducatives nouvelles dans deux rapports successifs sur l’Instruction publique. Le second d’entre eux fut l’œuvre de Condorcet, qui réclama la laïcisation de l’enseignement dans lequel les sciences et les techniques devaient avoir un rôle prépondérant.

Mais, comme le précédent, ce rapport fut dépassé par les évènements et, retenue par la crise intérieure et la guerre étrangère, la Convention consacra d’abord ses efforts à la création des premières écoles spéciales, comme l’Ecole des Travaux Publics - notre Ecole polytechnique - et les Ecoles de Santé qui enseignèrent en même temps la médecine et la chirurgie, conformément aux vœux des encyclopédistes.

Il fallut attendre la loi Lakanal, votée par la Convention le 25 février 1795 (7 ventôse an III), pour que la France possède des institutions appelées à remplacer les collèges supprimés avec les universités d’Ancien Régime. Ce furent les Ecoles centrales qui s’établirent progressivement dans presque tous les départements sous le Directoire et qui accordèrent une place de choix aux mathématiques et aux sciences exactes dans leur enseignement.

 

L’Université impériale

 

Le Consulat et l’Empire (1799 - 1815), l’Université impériale : sa structure, son esprit.

 

À la différence de la Révolution, le régime autoritaire créé par le coup d’État du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799) rompt avec la philosophie des Lumières, en fermant les Ecoles centrales et en renonçant à la création des Ecoles spéciales, à l’exclusion de l’Ecole de Pharmacie et de l’école de Droit qui seront instituées sous le Consulat (1799 - 1804) et qui auront au départ un caractère strictement professionnel.

Au reste, après la publication du Concordat avec la papauté (1802), Bonaparte crée les lycées pour remplacer les écoles centrales, et ces lycées, qui sont pourvus d’un aumônier, reprennent à beaucoup d’égards les programmes d’enseignement des collèges de l’Ancien Régime. C’est pourquoi, à l’instar de ces collèges, ils seront intégrés dans l’Université lorsqu’elle sera restaurée sous l’Empire par la loi de 1806 et les décrets d’application de 1808.

Mais, à la différence des corporations universitaires autonomes d’Ancien Régime, l’Université impériale est un corps d’Etat qui réunit en son sein les cinq facultés françaises instituées à Paris et en province, dans les circonscriptions régionales qu’on appelle aujourd’hui encore les académies : facultés de Théologie, de Droit, de Médecine, des Sciences et des Lettres. Ces facultés auront indistinctement le monopole de l’enseignement et la collation des grades, qui sont au nombre de trois dans toutes les disciplines, la baccalauréat, la licence et le doctorat - à l’exclusion de la médecine qui ne possède que le doctorat.

L’Université impériale enseigne en premier lieu la théologie - catholique à Paris et en province, et protestante dans certaines villes de province - et il est clair qu’elle se situe à ce sujet comme en d’autres dans la tradition de l’Ancien Régime. Au reste, s’il ne peut ignorer dans les sciences et en médecine les acquis révolutionnaires comme l’enseignement commun de la pratique médicale et de la chirurgie, le corps universitaire napoléonien est résolument spiritualiste et conservateur dans son ensemble. Telle est la volonté de l’Empereur qui a confié l’enseignement de la philosophie à la Faculté des Lettres de Paris à Royer-Collard, qui était à la fois janséniste et cartésien dans l’esprit de l’Ancien Régime.

Cette philosophie idéaliste et spiritualiste sera également celle de l’Ecole normale, fondée en 1810 dans la meilleure tradition des collèges pré-révolutionnaires13.

Enfin, en excluant soigneusement de l’Université les disciplines techniques qu’il confiait, comme l’Ancien Régime, à des établissements spécialisés, Napoléon est incontestablement responsable de la séparation de notre enseignement supérieur entre les facultés d’une part et les grandes écoles d’autre part. En fait, cette séparation lui était imposée par son hostilité au matérialisme encyclopédique et à la philosophie des Lumières. L’Université s’efforcera pour sa part de combler tardivement ses lacunes à cet égard.

 

Le XIXe siècle

 

La Restauration, la Monarchie de Juillet, la Seconde République et le Second Empire.

 

L’Université impériale, qui devint l’Université de France en 1814, conservera pratiquement le même statut pendant la majeure partie du XIXe siècle. Assurément, la Restauration, aux prises avec les ultra-royalistes et la gauche également hostiles à ce corps d’Etat, faillit supprimer l’institution après les Cent-Jours (1815). Mais Louis XVIII réussit à la maintenir avec le concours de Royer-Collard, qui défendait la monarchie constitutionnelle contre les extrêmes.

Toutefois, après l’assassinat du duc de Berry (1820), le roi dut céder aux ultras et, après avoir installé en Sorbonne les Facultés de Théologie, des Sciences et des Lettres qui étaient rue Saint Jacques depuis l’Empire, il nomma l’évêque Frayssinous grand maître de l’Université en privant les enseignants libéraux - tels Victor Cousin, Guizot - de leurs chaires parisiennes. Mais, cette politique suscitant la protestation conjointe de la gauche républicaine et de la droite gallicane, Charles X dut rappeler ces enseignants et rétablir avant la révolution de juillet 1830 le régime universitaire antérieur.

Par l’intermédiaire de Guizot, qui était proche de Louis-Philippe, l’Université fut au centre des revendications de cette révolution libérale. Au reste, Victor Cousin et le libéral Villemain furent tour à tour, avec Guizot et le juriste Salvandy, les ministres du roi et ils inspirèrent la politique universitaire du régime, qui conçut de grands projets pour réformer l’Université et développer entre autres les enseignements de la Faculté de Droit de Paris et l’équipement de la Faculté des Sciences de la Sorbonne. Malheureusement, les moyens financiers ne permirent pas de réaliser ces projets, et la Révolution de février 1848 éclata au moment même où Guizot était Premier ministre et veillait jalousement sur les dépenses publiques.

Les étudiants prirent une part active à cette révolution qui proclama la Seconde République. Mais l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République en décembre 1848 permit à la droite de voter la loi Falloux (1850), qui proclamait la liberté de l’enseignement secondaire conformément aux termes de la constitution nouvelle. Si elle ne s’appliquait pas aux facultés et à la collation des grades qui conservèrent le monopole universitaire, cette loi n’en aura pas moins des effets pervers sous le Second Empire.

De fait, le régime autoritaire instauré par le coup d’Etat du 2 décembre 1851 aggrava l’application de la loi Falloux, en introduisant la hiérarchie catholique dans les instances académiques. En outre, le régime exigea des universitaires de prêter serment au chef de l’Etat et il surveilla étroitement leurs cours et leur conduite. Enfin, comme Louis-Philippe, Napoléon III eut pour l’Université de grands projets qu’il ne put réaliser faute de moyens.

Sous l’Empire libéral (1860 - 1870), Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique, voulut introduire la recherche dans l’Université et il créa en Sorbonne à cet effet l’Ecole Pratique des Hautes-Etudes. Mais, à la veille de la guerre de 1870, les laboratoires universitaires de Paris étaient dans un état misérable que Pasteur dénoncera justement dans un texte célèbre en 1868.

 

La IIIe République (1870 - 1940)

 

1/ La IIIe République naissante (1870-1879) : la guerre de 1870 et la Commune, l’ordre moral et l’affermissement du régime.

 

Après la chute de l’Empire et la proclamation de la République (4 septembre 1870), les facultés parisiennes durent momentanément interrompre leurs activités paralysées par la guerre franco-allemande et les sièges successifs de la capitale par l’ennemi et par l’armée de Versailles, où l’assemblée nationale et le gouvernement s’installèrent pour fuir la Commune insurrectionnelle. La paix avec les Allemands étant signée à Francfort le 10 mai 1871, la dette de guerre exigée par le traité n’encourageait naturellement pas cette assemblée à majorité monarchiste à prendre des initiatives en faveur de l’enseignement supérieur. C’est pourquoi le pouvoir entreprit surtout de transférer les dépenses universitaires aux institutions privées.

Tel est le sens de la loi de 1875 qui étendit les compétences de la loi Falloux à l’enseignement supérieur, en permettant la fondation des facultés libres à Paris et en province. Mais les républicains contestèrent cette législation favorable à la création des Instituts catholiques et, après les élections générales de 1876 et de 1877, qui leur donnèrent successivement la majorité à la Chambre des Députés créée par la Constitution de 1875, ils augmentèrent les crédits alloués à l’enseignement supérieur, en accélérant la politique d’agrandissement des facultés parisiennes de Droit et de Médecine - qui avait été amorcée timidement avant 1875. C’est dans ce contexte qu’on entreprit de construire avenue de l’Observatoire un bâtiment spacieux pour l’Ecole supérieure de Pharmacie, qui avait été intégrée dans l’Université en 1840. L’évolution des esprits est également attestée à cette époque par l’introduction de l’économie politique dans les programmes de la licence en droit (1877).

2/ La IIIe République de 1879 à 1898 : le changement de cap, le positivisme et le rationalisme universitaire, la reconstruction de la Sorbonne, l’essor de l’enseignement supérieur.

Mais il faut attendre la démission de Mac Mahon et l’élection de Jules Grévy à la présidence de la République (1879) pour que l’Université entreprenne par étapes la mutation qui s’imposait dans ses structures et dans son esprit. C’est effectivement grâce à l’arrivée définitive des républicains au pouvoir à cette date que l’institution devait épouser son siècle, en rompant avec le spiritualisme de Royer-Collard et de Victor Cousin, qui avait été l’idéologie dominante du corps universitaire depuis le Premier Empire.

Même si elle avait souvent été en désaccord avec la dogmatique ecclésiastique, cette idéologie spiritualiste d’inspiration platonicienne et libérale n’en avait pas moins approuvé, avec Victor Cousin et ses disciples, la loi Falloux et l’ordre moral de Mac Mahon. Désormais, les républicains au pouvoir appliquent par étapes leur programme fondé sur la laïcité, le positivisme scientifique, l’essor des crédits alloués à l’enseignement supérieur et l’accès des femmes à cet enseignement qui leur était interdit auparavant, malgré les initiatives limitées qui avaient été prises sous le Second Empire à cet égard.

L’esprit laïque de l’Université est marqué par la suppression de la Faculté de Théologie catholique de la Sorbonne, qui disparaît avec ses homologues de province en 1885. La même année, on posait la première pierre de la nouvelle Sorbonne dont Jules Ferry avait décidé la reconstruction en 1881, comme président du Conseil et ministre de l’Instruction publique. Le chantier durera seize ans. Mais, réalisé sur un plan monumental, l’édifice atteste que la Sorbonne républicaine et laïque supplante désormais la Sorbonne monarchique et cléricale d’autrefois14. Au reste, l’inauguration de la première phase de reconstruction de la Sorbonne aura lieu en 1889 à l’occasion du premier centenaire de la Révolution française.

Dans cet esprit qui s’inspire du positivisme et du rationalisme scientifique, les crédits alloués à l’enseignement supérieur permettent d’augmenter les chaires dans toutes les disciplines et de favoriser l’essor des laboratoires et des bibliothèques universitaires, dont les moyens étaient presque inexistants auparavant. Cette augmentation conduit à diversifier les enseignements en présentant aux étudiants des programmes nouveaux, des diplômes rénovés et des conditions d’accès plus faciles aux études supérieures.

En outre, les républicains font un effort sans précédent pour faciliter l’accès des étudiantes à l’enseignement supérieur. En 1881, ils créent à cet effet l’Ecole normale supérieure de Sèvres pour former des professeurs féminins qui enseigneront dans les lycées de filles. Et c’est également à cette date que l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm sera laïcisée par la suppression de l’aumônerie de l’établissement.

Enfin, apparaît en 1896 la réforme attendue depuis longtemps. L’Université de France est supprimée dans sa structure centralisatrice, et les facultés de chaque académie constituent désormais au chef-lieu de cette dernière une université, dont le recteur préside le Conseil sous l’autorité du ministre de l’Instruction publique. L’Université de Paris renaît comme telle pour sa part.

3/La IIIe République de 1898 à 1919 : l’Université et l’affaire Dreyfus, les polémiques sur l’enseignement supérieur et la première guerre mondiale.

L’Université de Paris était en plein essor, quand ses professeurs s’engageront en 1898 dans la polémique provoquée par la demande en révision du procès du capitaine Dreyfus, qui avait été injustement condamné par un tribunal militaire. À l’instar du pays, les enseignants se divisèrent sur le sujet. Mais beaucoup d’entre eux se prononcèrent en faveur de cette révision. C’est notamment grâce à leur action que Dreyfus, reconnu innocent, sera réintégré dans l’armée en 1906.

Le combat des intellectuels dreyfusards favorisa dans le corps universitaire l’émergence d’un radicalisme de gauche fondé sur les droits de l’homme, la justice sociale et la défense des libertés publiques et du rationalisme scientifique. Tout en accompagnant le développement des études, ce radicalisme suscita dans l’Université de Paris et dans le pays des polémiques sur la nature de l’enseignement supérieur dans certaines disciplines. C’est ainsi que le débat qui eut lieu en Sorbonne, avant la première guerre mondiale, sur les humanités classiques et le latin intéressa à la fois les littéraires et les scientifiques.

Les conflits idéologiques interfèrent dès lors avec les problèmes corporatifs. C’est ainsi que la contestation du concours de l’agrégation de médecine, qui assure le recrutement des professeurs dans cette discipline, prit une ampleur sans précédent au Quartier latin au début du XXe siècle. Mais l’enseignement supérieur parisien n’en jouit pas moins à cette époque d’une réputation internationale, en attirant de nombreux étudiants étrangers à ses cours.

La première guerre mondiale interrompit cet essor en engageant la majorité des étudiants dans le conflit. Beaucoup y donnèrent héroïquement leur vie pour le salut de la patrie.

4/ La fin de la IIIe République (1919 - 1940) : l’accès progressif des femmes aux chaires magistrales, la création de la Cité universitaire et les luttes politiques et idéologiques.

Si elle fut une dure épreuve, la première guerre mondiale favorisa définitivement l’accès des jeunes filles à l’Université. Le mouvement fut irréversible en permettant progressivement aux femmes d’occuper des chaires magistrales.

Au reste, à cette époque, l’Université poursuit son essor. Le phénomène est attesté par la création de la Cité universitaire, qui sera établie par étapes Boulevard Jourdan pour accueillir les étudiants étrangers des cinq continents. Il est également marqué par la fondation de nombreux instituts d’université et de faculté, qui accompagnent des cursus nouveaux dans un savoir dispensé par des maîtres prestigieux.

La période est aussi le théâtre de luttes politiques très vives. C’est ainsi qu’à deux reprises, la Faculté de Droit fut troublée par des incidents provoqués par la nomination d’un professeur de gauche en 1925, et par l’enseignement d’un maître qui dénoncera en 1935 la conquête de l’Ethiopie par l’Italie fasciste. De son côté, la protestation contre l’agrégation de médecine continua dans la Faculté concernée, où des manifestations racistes et xénophobes s’en prirent aux étrangers, coupables à leurs yeux de concurrencer les Français dans l’exercice de l’art médical. Les sympathies des étudiants de ces facultés, qui se recrutaient souvent dans un milieu aisé, seront dénoncées par leurs camarades littéraires et scientifiques qui seront favorables au Front populaire en 1936.

Mais à l’exception de rares constructions nouvelles, les locaux seront insuffisants pour répondre à l’augmentation du nombre des étudiants et aux besoins de l’enseignement supérieur, et l’Université de Paris entrait dans une crise grave quand éclata la seconde guerre mondiale en 1939.

 


De 1940 à la crise de 1968

 

1/ La seconde guerre mondiale, la IVe République, la Ve République.

 

La défaite de 1940 ayant provoqué l’occupation de la France par les Allemands, le gouvernement, qui s’était établi à Vichy et qui collaborait avec l’ennemi, prit des mesures discriminatoires conformes aux vœux de celui-ci. Il exclut de l’administration française les Juifs et les opposants les plus résolus à sa politique. Le corps universitaire parisien fut particulièrement affecté par ces mesures racistes et arbitraires. Au reste, la situation s’aggrava par étapes en provoquant rapidement l’incarcération et la déportation des professeurs juifs ou hostiles aux Allemands et à la collaboration avec eux.

Pour sa part, la résistance s’organisa progressivement dans les facultés parisiennes. Mais il fallut de dures épreuves pour qu’elle puisse participer effectivement à la libération de Paris le 25 août 1944.

En 1945, à la fin du conflit, l’Université de Paris retrouvait les problèmes qui lui étaient propres et qui s’étaient aggravés avec la guerre et l’occupation étrangère. Mais la IVe République dépensait les crédits publics dans des expéditions coloniales d’un autre âge, et elle refusa toujours à l’enseignement supérieur les moyens qui lui étaient nécessaires pour accomplir sa mission.

Au Quartier latin, les étudiants s’entassaient dans des salles et dans des amphithéâtres surpeuplés, et le corps enseignant, insuffisant en nombre, n’avait pas les moyens de les suivre et de les encadrer correctement. Il fallut attendre la fin de la IVe République pour qu’on établisse à Orsay une seconde Faculté des Sciences parfaitement équipée pour la recherche. C’est également dans cet esprit qu’on institua à cette époque, dans les facultés, le 3e cycle de recherche qui manquait à l’Université française. Pour être tardive, l’initiative devait avoir d’heureux effets.

Mais la déconcentration des centres universitaires dans la capitale et à la périphérie sera surtout l’œuvre de la Ve République dans les premières années de son existence. Cette politique atteignit ses objectifs en répondant notamment aux problèmes posés par le nombre des étudiants. Malheureusement, le pouvoir crut également qu’il pouvait contrôler l’accès de ces derniers à l’Université, en organisant une sélection sévère à l’entrée des facultés et en créant des instituts universitaires de technologie, qui pouvaient apparaître comme des filières de second ordre pour les bacheliers inaptes à l’enseignement supérieur traditionnel.

En fait, cette création était une initiative très heureuse en introduisant des options techniques et professionnelles dans cet enseignement qui n’en avait pas suffisamment auparavant, puisque ces options étaient réservées aux grandes écoles depuis Napoléon. Mais la réforme, qui n’avait pas été négociée avec tous les partenaires intéressés, fut rejetée par les étudiants dans un climat politique et social défavorable, et elle provoqua une véritable insurrection dans les facultés à Paris et en province.

2/ La cause immédiate de la crise de 1968, la législation universitaire nouvelle.

La Faculté des Lettres de Nanterre - créée en 1964 au sein de l’Université de Paris - étant devenue le théâtre d’une agitation gauchiste permanente contre les projets de réforme, le recteur de l’Académie, président du Conseil de l’Université de Paris, décidait sur proposition du doyen de cette faculté de fermer cette dernière le 2 mai 1968.

Si cette agitation permanente était redoutable dans le campus isolé de Nanterre, il faut dire qu’elle était principalement le fait d’une minorité conduite par quelques meneurs, qui contrôlaient une majorité indécise et déroutée par la réforme en question. Au reste, le lendemain, le 3 mai, il n’y avait que trois à quatre cents étudiants dans la cour de la Sorbonne pour dénoncer la fermeture de la faculté de Nanterre et demander au recteur d’annuler la décision administrative qui permettait de traduire plusieurs de leurs camarades devant le Conseil de l’Université de Paris.

Mais le recteur ne put donner l’audience qu’ils désiraient et, en fin de soirée, il fit appel à la police pour qu’ils évacuent la cour de la Sorbonne. Des échauffourées violentes opposèrent les étudiants aux forces de l’ordre dans la rue et il y eut des arrestations nombreuses et des centaines de blessés dans les deux camps. Tel est l’incident majeur qui entraîna plusieurs semaines de troubles à Paris et une grève générale illimitée en France, et qui faillit emporter la Ve République.

Le général de Gaulle, président de la République, réussissant à rétablir l’ordre à la fin de mai, la nouvelle assemblée nationale élue en juin, après la dissolution de la précédente, eut pour principale mission de réformer la législation universitaire de la IIIe République, en donnant une large autonomie de gestion aux établissements d’enseignement supérieur et en permettant ainsi d’établir plusieurs universités dans une même circonscription académique.

C’est ainsi qu’à Paris, où l’Université était devenue très difficile à gérer par le nombre de ses professeurs et de ses étudiants, la législation nouvelle - loi du 12 novembre 1968, remplacée par la loi du 26 janvier 1984 - permit de créer dès 1969 treize universités au sein de l’ancienne Université de Paris. Paris 1 est la première d’entre elles dans l’ordre numérique. Mais, si elle possède, comme tous les établissements d’enseignement supérieur français, son président et son conseil, elle est placée, avec les autres universités de la capitale et de la périphérie, sous la tutelle administrative du recteur de Paris, chancelier des Universités de son académie.

De cette manière, toutes les universités créées en 1968 au sein de l’Université de Paris sont également les héritières directes de cette dernière. Elles en poursuivent ensemble l’enseignement et la grande tradition scientifique et pédagogique issue d’un passé prestigieux que nous venons d’évoquer.

 

L’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne aujourd’hui

 

Paris 1 Panthéon-Sorbonne est le premier pôle universitaire français toutes disciplines confondues : Sciences économiques et de gestion, Arts et Sciences humaines, Sciences juridiques et politiques.

 

À la suite des évènements de mai 1968, l’Université de Paris a été divisée en 7 Universités nouvelles, à l’initiative des universitaires eux-mêmes. À l’instigation notamment des Professeurs François Luchaire (Droit), Henri Bartoli (Économie) et Hélène Ahrweiler (Sciences Humaines), l’Université Paris 1 (Panthéon-Sorbonne) est née en 1971 du regroupement d’une partie de la Faculté de Droit et Sciences Économiques (Panthéon) et d’une partie de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines (Sorbonne).

Depuis sa création, Paris 1 a vu ses effectifs d’étudiants augmenter de 50% et la proportion d’étudiants de troisième cycle s’accroître constamment. Cette croissance, accompagnée de l’apparition de nouvelles disciplines (Administration Économique et Sociale, Mathématiques Appliquées aux Sciences Sociales), a nécessité l’attribution de nouveaux locaux qui ont augmenté la capacité d’accueil et la dispersion de l’Université : Centre Saint-Charles pour les Arts Plastiques (1973), Centre Tolbiac (aujourd’hui Pierre Mendès-France (1973), Centre de recherches historiques et juridiques de la rue Malher (1972), Centre René Cassin pour le premier cycle de Droit (1990), Maison des Sciences Économiques (1998) pour la Recherche dans ces disciplines et Centre Broca où s’installe l’Institut d’Administration des Entreprises en 2001.

  

Copyright Université Paris 1 Panthéon - Sorbonne juin 2001