Le quartier des grands boulevards est la quintessence d’un Paris brillant de mille feux, une version miniature de Broadway. Théâtreux, cinéphiles, accros du shopping et noctam bules l’animent d’un brouhaha plein de vie. Au début du siècle dernier, une vaste maison close y avait élu domicile, boulevard de Bonne-Nouvelle, à côté de ce qui est resté le théâtre du Gymnase. Les historiens du vieux Paris racontent, l’oeil égrillard, comment les messieurs y déposaient leurs épouses au balcon le temps d’un spectacle avant de rejoindre, entre hommes, la maison de tolérance. Marthe Richard est passée par la usine à plaisirs tarifés a fermé ses portes. Les locaux abritent maintenant le Delaville Café, qui mélange les styles de clients, d’époques et de matériaux. On y entre par une large terrasse de planches, ajourée et presque calme, protégée de la rue par un vaste trottoir. Les deux escaliers de métal du large patio mènent à quelques curiosités. A gauche, une salle de brasserie proté gée d’un plafond de bois sculpté se termine sur un escalier à triple volée couvert de bougies. Pour le moment, il ne mène nulle part. L’ancien étage réservé aux filles de joie est en cours de rénovation. On y trouve aussi un splendide meuble d’épicier entouré de quelques tables, pour des dîners plus isolés. Sur la droite, le bar et la cabine du Di sont deux spoutniks en plas tique, façon art pop. La pièce en céramique du XIXe est plongée dans une atmosphère mi-diurne, mi-nocturne grâce à des lampes au fil de carbone. Le décorateur de l’endroit a pris sa mission au sérieux sans tomber dans l’académisme commerçant. Chaque détail est soigné. Les peintures murales sont signées de l’artiste contemporain Fabrice Hybert. Le choix des chaises propose une vision subjective du design industriel du xx siècle, de la chai se baquet en plastique au dossier ergonomique de bois suédois, sans oublier la chaise bistrot. Le clou de l’endroit, outre des toilettes noires avec un lavabo en véritable granit, est situé tout au fond. C’est un espace “lounge”, un entrelacs de meubles en bois blond créé in situ. Les fauteuils bas en cuir rouge cerise accueillent les fêtards alanguis et donne des envies de conversation profonde. Le service mériterait davantage de moelleux, mais l’adresse est parfaite pour prendre un verre après une séance au cinéma le Grand Rex. Question boissons, la variété est aussi de mise : outre les créations du jour, comme le cappuccino Melon Fraises, l’absinthe Veilleuse est proposée à 5 ˆ, le mojito à 8 ˆ, et la coupe de champagne Roederer à 10 ˆ. Un parcours d’évasion à l’esprit pétillant, que demander de mieux?

(«Thulyscope» Automne 2004, ¹ 27)