Météor est inauguré le 15 octobre

 

La RATP reconnaît que son nouveau bijou tout automatique, de 7 milliards de francs, n'est pas encore indispensable, mais estime qu'il a vingt ans d'avance

 

În pourrait se croire dans un remake des « Temps modernes » de Chaplin. Dans cette scène où la machine incontrôlée tourne toute seule, sans plus se soucier des humains. Lesquels, d'ailleurs, sont absents. Nous sommes dans les sous-sols de la gare de Lyon, séparés de la foule des voyageurs du RER par quelques panneaux de plastique. Dans l'espace réservé à la future ligne de métro Météor, inaugurée en grande pompe le 15 octobre. Ce sera un événement : on n'avait pas ouvert de nouvelle ligne à Paris depuis 1935. Alors on s'active ferme. A une semaine du jour ], la future gare est encore parsemée de gravats, percée de tranchées, envahie de poussière. Mais les voitures, elles, tournent, chantier ou pas. Il faut que le matériel roulant soit rodé pour le 15 octobre. Alors il roule, au rythme des futures heures de pointe. Toutes les 105 secondes une rame s'arrête. Les portes s'ouvrent, se referment. Le métro repart. Météor, métro du XXIe siècle, affirme la RATP. En le regardant attentivement, on réalise que c'est effectivement le XXIe siècle qui passe. Car, sur les rames de Météor, le conducteur a disparu. Et la cabine de conduite avec lui.

Météor est un métro sans chauffeur conçu par Matra. Ce n'est certes pas le premier du genre : il y a eu OrlyVAL en région parisienne, puis le VAL lillois ou le Maggaly lyonnais... Mais le nouveau matériel parisien, qui transportera 25 000 voyageurs par heure dans chaque sens - soit quatre fois plus que ses prédécesseurs - joue vraiment dans la cour des grands. D'ailleurs, ce jeudi, jour de l'inauguration, les responsables d'une bonne vingtaine de métros au monde, curieux de voir comment fonctionne le dernier joyau de la RATP, doivent grossir le rang des officiels. Les plus intéressés étant pour l'instant ceux de New York, de Nuremberg, de Berlin et de Singapour.

Techniquement, Météor est un beau métro. Entièrement automatique, monté sur pneus, deux fois plus rapide que le métro classique - on ne mettra que douze minutes pour parcourir les 7 kilomètres de souterrain qui séparent la Madeleine du terminus Bibliothèque-François-Mitterrand et les huit stations de la ligne -, il est élégant et bien éclairé... Et sûr, en dépit de l'absence de tout conducteur. D'abord parce que, à la manière du VAL, des portes palières séparent les quais de la voie. Elles ne s'ouvrent que lorsque la rame est arrêtée en station. Cela devrait permettre d'éliminer les « accidents personnels graves », comme on dit dans le jargon RATP (autrement dit, les gens qui se jettent sur la voie), qui sont aujourd'hui une des causes majeures d'interruption du service. Mais aussi parce que le voyageur, privé de conducteur, ne sera pas pour autant livré à lui-même : il y aura autant de personnel sur Météor, ligne automatique, que sur une ligne classique. Un personnel qui sera théoriquement davantage à la disposition du voyageur. Toutes les voitures, tous les couloirs seront surveillés par caméras vidéo, et il sera possible de s'adresser depuis chaque voiture par interphone aux agents du poste de contrôle centralisé... Quant à la circulation automatique des trains, c'est une technique éprouvée. Matra annonce fièrement avoir transporté 900 millions de voyageurs sur ses lignes automatisées sans avoir jamais connu le moindre accident.

L'engin est donc au point. Reste à savoir à quoi il va bien pouvoir servir. Car, pour l'instant, téor est peut-être rapide, mais il ne va pas loin. La Madeleine d'un côté, la Très Grande Bibliothèque de l'autre... Deux « impasses », si l'on en croit l'Association des Usagers des Transports. Le projet aura une tout autre allure lorsqu'il atteindra la gare Saint-Lazare. Mais il faudra attendre 2003. Cette extension-là est certaine : elle est financée, et les travaux sont engagés. Au sud, en revanche, rien de certain : la ZAC rive gauche, chère à Jacques Toubon, que Météor devait desservir est encore un désert. La correspondance avec la ligne C du RER n'est prévue que pour l'an 2000. Et la desserte ultérieure du 13e arrondissement n'est pas encore programmée. Bref, c'est encore un embryon de ligne - 7 kilomètres sur les 20 pro­jetés - qui sera proposé aux Parisiens.

La faute à Rocard, vous dira-t-on, qui n'avait pas su choisir entre deux projets concurrents : Eole, soutenu par la SNCF et la région Ile-de-France (qui sera inauguré en juin prochain), et Météor, que portaient à la fois la Mairie de Paris, la RATP et son PDG d'alors, un proche de Rocard : Christian Blanc. Deux projets, c'était sans doute un de trop. En tout cas, ces deux chantiers qui ont absorbé à eux seuls la moitié des crédits affectés en Ile-de-France au développement des transports auront retardé d'autres investissements peut-être plus essentiels : les liaisons directes entre les communes de la couronne parisienne. Quand vous dites tout cela à Jean-Paul Bailly, | l'actuel patron de la RATP, il vous répond qu'un investissement en matière de transport, ça s'évalue sur le long terme. « Il faut être ambitieux, dit-il. Si on considère qu'en 2020 les voyageurs devront continuer de voyager debout et serrés aux heures de pointe, alors il ne fallait pas investir. Mais ces critiques sont normales : tous les projets d'infrastructure suscitent l'incompréhension au moment où on les réalise. » Quant au fait que quelques projets ont pu être retardés, Jean-Paul Bailly ne le nie pas. « Mais l'effort financier que nous avons consenti pour Météor est, pour l'essentiel, derrière nous, et nous travaillons déjà à fond sur les futures liaisons de banlieue à banlieue. »

Dans l'immédiat, la RATP espère que la nouvelle ligne, la ligne 14, contribuera à désengorger le tronçon central d'une ligne A du RER sursaturée depuis une bonne dizaine d'années avec ses 62 000 voyageurs par heure aux heures de pointe. Météor devrait en détourner 8 000 aux mêmes heures, ce qui n'est pas rien.

Mais surtout - on le sent bien en discutant avec les cadres de la RATP -, Météor est un des leviers qui permettront d'emmener cette vieille entreprise qu'est la Régie autonome dans le prochain siècle, un instrument pour changer de mentalité. « Passer d'une culture de production à une culture de service aux voyageurs », dit Jean-Paul Bailly, qui veut faire évoluer les métiers des agents de la Régie, les rendre plus diversifiés, plus réactifs aux demandes du pu­blic. Sur la ligne 14, les 240 agents seront pratiquement tous, directement, au service des usagers. La direction de la RATP compte d'ailleurs faire de Météor une sorte d'école d'application pour la Régie de demain : tous les agents des autres lignes seront à terme invités à y passer quatre ou cinq ans, avant d'aller ensuite porter la bonne parole, celle de l'esprit de service, sur les lignes traditionnelles...

 

GÉRARD PETITJEAN

LE NOUVEL OBSERVATEUR