Prince des jardins Bretons

 

Notre-Dame du Kreisker à Saint-Pol de Léon

 

Ils se sont rappelés aux souvenirs des Français à la mi-avril en coupant la circulation sur le pont de Morlaix et en bloquant les trains dans tout le nord du Finistère. Au bout de quelques jours, les maraîchers du Léon ont finalement obtenu gain de cause et quelques millions de francs pour continuer à cultiver leur Jardin et produire les meilleurs artichauts et les plus beaux choux-fleurs de France.

 

Le paysage a l'ouest de la rade de Morlaix ne ressemble a aucun autre. Dans le haut pays du Léon, les champs de céréales, si familiers ailleurs, sont ex­clus du décor. La nature Ici a des teintes maritimes, d'un vert tendre et profond à la fois. La côte déchiquetée n'est jamais loin, mais les têtes d'artichauts et de choux-fleurs savent résister aux pires tempêtes. Il n'y a guère que l'argent et des cours toujours plus bas qui les abat­tent en même temps qu'ils désespèrent les  agriculteurs.   Et quand la colère monte,  ces légumes parfumés pourrissent le long des chemins ou finissent en bar­rages routiers faute d'arriver à bon prix dans les assiettes.

Les Français n'aiment plus guère le goût du chou-fleur et se lassent d'effeuiller l'artichaut. Pour peu que l'hiver soit finaux, que la production bretonne prenne de l'avance et arrive en même temps que les importations sur les marchés, l'effondrement des cours qui s'ensuit ali­mente toutes les colères.

Le pays léonard n'est plus alors cette ceinture dorée com­me on l'avait surnommé à une époque ou le légume de qualité rapportait bien. Très attachés à leur terre, les Léonards se sont toujours débrouillés pour pouvoir en vivre. Ils en ont fait le jardin le plus beau et le plus riche de Bretagne, plantant pommes de terre et oignons rosés, bro­colis et endives, haricots et carottes. Ils ont même réussi à hisser le chou-fleur au premier rang des exportations de lé­gumes de la France. Au siècle dernier déjà, ils franchissaient la Manche pour approvisionner leurs voisins anglais qui ont donné à ces paysans de l'arrière-pays de Roscoff le surnom d'Onion boys puis de Johnnies.

 

Saveurs du  LÉON

 

Mais, pour rien au monde, ils n'auraient perdu de vue le clocher délicatement sculpté dans la pierre de Notre-Dame du Kreisker, à Saint-Pol-de-Léon. Du haut de ses 78 mètres, il domine toute la Bretagne qui ne manque pourtant pas de monuments religieux impressionnants. Le baby-boom d'après-guerre n'a pas pous­sé les Léonards a émigrer à Paris pour trouver de quoi vivre. Il les a incités à mieux cultiver leurs terres qui sont res­tées morcelées et n'ont guère connu les remembrements qui ont bouleversé l'agriculture dans l'intérieur de la Bretagne. Il les a aussi poussés à s'organiser, à se re­grouper en coopératives et à défendre une Image de marque, «Prince   de Bretagne», pour    tous leurs produits Les légumiers ont également investi dans le tourisme   et particulièrement dans  une compa­gnie de transports maritimes qui assure    depuis  Roscoff les liaisons par ferries avec l'Irlande et le sud-ouest de l'Angleterre. Pour se faire apprécier des touristes qui débarquent par milliers à la belle saison, ils proposent aussi des visites guidées qui, des terres à la mer, permettent de découvrir toutes les saveurs du Léon.

Mais il vient un moment où la diversifica­tion ne suffit plus. Alors du côté du Léon, on cultive l'inquiétude et la colère pour ne pas être mangés tout cru par l'Europe agricole et la logique productiviste qui l'accompagne.

 

stephane jarre

(«Le Français dans le Monde» № 296)