Une senteur de lavande

 

Entre Durance et Verdon, le plateau de Valensole est un condensé de Provence. Au printemps et en été, les champs de lavande peignent le paysage en violet, donnant de la couleur aux terres sèches et calcaires, du travail aux habitants et des plaisirs sensuels aux touristes.

Quittant la large vallée où paresse la Durance, la route s'attaque de front à la montagne. Une longue ligne droite fortement en pente, puis quelques virages et la voilà qui débouche sur un vaste plateau calcaire, à près de 600 mètres, entre ciel et terre. La pierre blanche affleure ici ou là, sur les rebords des falaises. Le plateau est profondément entaillé par des ruisseaux dont la minceur estivale ne doit pas faire illusion : il suffit d'un orage pour qu'ils retrouvent leur vigueur printanière. C'est dans ces berceaux rafraîchissants, où les chênes et les pins trouvent un peu d'eau, que les hommes ont construit leurs villages : Allemagne-en-Provence et ses quelques centaines d'habitants, Riez et son passé antique, Valensole et ses vieilles maisons de pierres de couleur beige. Protégés du vent et du soleil ardent, les villages du plateau de Valensole ne se découvrent qu'au dernier moment, quand on a traversé un océan d'or et de mauve, parsemé d'ilots vert argent. Le blé, la lavande et les amandiers compo­sent une symphonie de couleurs tendres et éclatantes.

 

DE LA MEDECINE AU PARFUM

 

Juste avant les moissons, qui se déroulent entre la mi-juillet et la fin août selon l'altitude et l'ensoleillement, le mauve pâle de la lavande tourne au violet. Tout le plateau se parfume alors d'une odeur aussi envoûtante qu'entêtante.

Comme étourdies par un tel festin, des milliers d'abeilles s'en donnent à cœur joie, ne sachant plus quelle plante buti­ner. Les apiculteurs qui promènent leurs ruches sur le plateau en fonction des moissons savent, eux, que le miel de lavande réjouira les estivants à l'heure du petit déjeuner.

La lavande elle-même ne satisfait pas seulement les sens, elle a aussi des vertus médicales. Au xvIe siècle, transformée en essence, elle guérissait les blessures et soignait les troubles les plus divers. Aujourd'hui, elle prend souvent le chemin de Grasse, à une centaine de kilomètres, où elle est utilisée par l'industrie des parfums. De l'eau de toilette à la savonnette, de la confiserie à la peinture et aux vernis, le plateau de Valensole livre généreusement son trésor. Lorsque le temps de la cueillette est venu, les villages se mettent en habits de fête et célèbrent leur première source de richesse. La moisson s'est aujourd'hui mécanisée, mais les règles de transformation de la fleur en essence demeurent. Les récoltes doivent d'abord sécher pendant deux ou trois jours avant d'être apportées par remorques entières, peintes en bleu lavande comme il se doit, à l'une des trois ou quatre dernières distilleries installées sur le plateau. Les bouquets sont alors cuits à la vapeur dans une double chaudière. Un mince filet d'huiles essentielles finit par s'écouler de l'alambic. Il faut 100 kilogrammes de lavande sèche pour produire un petit kilo d'essence. Une déperdition qui explique l'étendue des cultures. La plante, qui poussait naturellement sur les terrains crayeux et chauffés à blanc par le soleil de Provence, n'a été sélectionnée qu'à la fin du xix" siècle pour être cultivée de manière systématique. Si elle fait le bonheur des citadins qui adorent placer quelques sachets de lavande dans leurs armoires à linge, elle a surtout évité le déclin de la vie rurale et permis à sa petite dizaine de milliers d'habitants de continuer à vivre dans le cadre idyllique du plateau de Valensole.

 

Stéphane Jarre

LE FRANÇAIS DANS LE MONDE  N° 299