Le "Vol de Nuit" nous emmène à Toulouse, grande ville du Sud de la France, centre universitaire, champion de nouvelles technologies, ville active et dyna­mique. Nous partons pour y retrouver une immense scè­ne de théâtre avec des décors, des costumes, de la musi­que, des couleurs et des odeurs... Toulouse nous attend avec son histoire, son architecture renaissante, son cos­mopolitisme, son côté exotique, la vie nocturne de ses bars et cafés, les quais   ombragés   de   la   Garonne...   Faire  un  voyage  à Toulouse, c'est découvrir les mille et une faces, voyager dans le présent et le passé, reconnaître dans une ville française de nombreux visages étrangers...

L'histoire de Toulouse est fortement marquée par la présence de la Garonne. Au IIIe siècle avant Jésus-Christ, une tribu venue des forêts de Bohême fonda Toulouse au bord de la Garonne. A l'époque romaine Toulouse con­nut une vraie splendeur et fut la quatrième ville d'Occi­dent. Il ne reste aujourd'hui que très peu de vestiges de cette époque lointaine. Les statues anciennes furent dé­couvertes près de Toulouse, à Martres-Tolosane, et sont actuellement exposées au musée Saint-Raymond.

La vraie histoire de Toulouse commence après l'an 1000, avec la construction de l'église Saint-Semin (qu'on peut voir encore aujourd'hui), étape importante sur la route du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle. C est à partir de cette époque qu’à Toulouse furent très à la mode les chansons des troubadours occitans, ancêtres de poètes modernes. En 1215 le future saint Dominique installa à Toulouse son couvent et c'est sous son patronage que naquit la sainte Inquisition (dans la Maison dite de l'Inquisition de l'actuelle place du Parlement). Tou­louse se retrouva à l'avant-garde de la lutte contre l'hé­résie. Aujourd'hui encore, les constructions religieuses atteignent à Toulouse une densité étonnante. Au XVII-e siècle, les couvents occupaient le quart de la superficie de la ville! Plusieurs organismes culturels ont actuelle­ment leur siège dans les anciens bâtiments religieux.

L'âge d'or de Toulouse est, sans doute, la Renaissan­ce. Ce fut à cette époque que les marchands toulousains découvrirent le pastel, une plante qui permettait d'obte­nir une très belle teinture bleue, qui connut du succès au-delà des frontières françaises. La découverte de ce pro­duit magique et sa vente un peu partout en Europe per­mirent aux commerçants de Toulouse de s'enrichir assez vite. Les nouveaux riches de la Renaissance se firent construire des hôtels particuliers magni­fiques, dont la splendeur et  l'élégance  font aujourd'hui de Toulouse une ville superbe à l'ar­chitecture renaissante et gothique. En ef­fet, le centre historique est bien conservé et présente un monument homogène de l'époque.

Une autre particularité de Toulouse fut son conseil de notables - "capitouls" - qui dirigeait la ville depuis le XIIe siècle jusqu'à la Révolution. Aujourd'hui la pla­ce centrale de Toulouse porte le nom de Places du Capitole, et abrite le bâtiment majestueux du Capitole du XIXe siècle (ac­tuellement, mairie de Toulouse et Opéra).

Aucun événement d'importance ne marque la période qui s'étend du XIIe siècle jusqu'à la Première Guerre Mondiale (1914 - 1918). Après la Guerre, plusieurs usines vinrent s'y installer, et Toulouse devint un centre industriel reconnu. Peu à peu la construction aéronautique avec ses entreprises Latécoère, plus tard, l'Aérospatiale, puis des industries de pointe prirent de l'importance dans l'éco­nomie toulousaine. La ville reçut, et maintint avec suc­cès une renommée de grande cité aéros­patiale.

Nous sommes dans les années 20. Tou­louse est désormais le point de départ des pilotes de l'"Aérospatiale", la nouvelle li­gne reliant l'Europe à l'Amérique Latine. Au 8 rue Rominguières, à l'angle de la pla­ce du Capitole à Toulouse, se trouve l'hô­tel du "Grand Balcon", où logent, la nuit précédant le départ vers les Amériques, les as de l'"Aérospatiale". "Ils se logèrent à 1' hôtel du "Grand Balcon". Ainsi le voulait la tradition du terrain de Montaudran. Les nouveaux pilotes s'arrêtaient toujours au Grand Balcon ".

Le pilote Jean Mermoz, et l'écrivain, philosophe et dessinateur, Antoine de Saint-Exupéry sont parmi les habitués de l'établissement. "C'était une modeste pen­sion de famille tenue par trois vieilles filles. Le bon mar­ché du gîte et de la table avait attiré les premiers pion­niers de la ligne chez elles. Leur gentillesse, leur bonté, vite connues sous les hangars, avaient séduit les suivants. La consigne se repassait d'une équipe à l'autre... Les vieilles dames bientôt n'eurent que des avia­teurs comme pensionnaires."

Très vite les jeunes pilotes, qui ont tous beaucoup voyagé et ont vu des pays et des villes lointains, devinrent membres d'une grande famille "turbulente, vivante, vaga­bonde". Arrivés à Toulouse, ils ne se posè­rent plus la question où dormir: ils étaient évidemment attendus chez les trois soeurs au "Grand Balcon". Et là, ils faisaient rêver les vieilles filles et leur racontaient leurs joies et leurs peines. "Les vieilles dames suivaient d'un souvenir fidèle ceux qui étaient partis. Leurs noms continuaient à vivre dans la sal­le à manger. Parfois, on les prononçait d'une voix plus sérieuse. Ils désignaient des morts. Et les vieilles dames pleuraient. Parfois aussi, ceux qu'elles avaient accueillis pauvres, râpés, ayant pour tout bien en ce monde une méchante valise de fibre, reparaissaient illustres, riches de records, d'argent et de victoires".

Les pensionnaires du "Grand Balcon" logeaient dans de grandes pièces dont la plupart des fenêtres donnaient sur la place du Capitole avec son marché habituel et ses cafés chaleureux. Parfois, il y avait un balcon et là, le pensionnaire ne pouvait pas s'empêcher de fumer une cigarette, le soir, en suivant le va-et-vient de la vie tou­lousaine en bas. Dans la salle à manger du rez-de-chaus­sée, les pilotes se retrouvaient pour prendre des repas préparés par les vieilles dames, pour discuter, lire un journal. L'ascenseur n'apparut qu'à la fin des années 30, et depuis, on l'entendait systématiquement grincer la nuit, signalant le retour tardif de l'un des pilotes. Pour ne pas réveiller les vieilles demoiselles, Jean Mermoz, bel homme dont la compagnie était très appréciée par les filles de Toulouse, portait sa copine sur ses épau­les... Il ne fallait surtout pas faire de bruit dans l'esca­lier!

Les propriétaires de l'hôtel savaient garder leur clien­tèle: de temps en temps, elles faisaient des remises, ou baissaient les prix pour les clients les plus fidèles. Jean Mermoz réussit à gagner la sympathie des vieilles da­mes. "... s'étant consultées, elles lui louèrent pour cinq francs par jour une chambre qui était estimée à sept. El­les fixèrent à six francs sa pension quotidienne. Elles autorisèrent la bonne à laver son linge".

L'auteur du "Petit Prince", Saint-Exupéry, ou Saint-Ex comme l'appelaient ses camarades, logeait toujours dans la chambre N 32: il n'aimait pas changer ses habitu des. C'est dans cette chambre, probablement, qu'il ré­digea ses lettres à Mme Saint-Exupéry, qu'il écrivit "Le Petit Prince" et "Vol de Nuit"...

Soixante ans après la grande aventure de l'Aérospatiale l'hôtel du "Grand Balcon" est toujours sur la même place et accueille des touristes et des nostalgiques. Le temps n'a pas changé grand-chose, tout y est con­servé comme à l'époque de Saint-Exupéry et de Mermoz. Le petit sa­lon est décoré de vieilles photos Harcourt de Saint-Exupéry, de Guillemet, de Mermoz, de Vachet. Il y a aussi une photo en noir et blanc représen­tant les trois demoiselles du "Grand Balcon". On peut feuilleter un volu­me épais sur l'histoire de l'Aérospa­tiale, consulter des articles de jour­naux sur le légendaire "Grand Bal­con". L'écrivain Joseph Kessel, ami de Mermoz, décrivit l'hôtel dans un de ses livres et l'immortalisa dans un film. Bref, aujourd'hui cet hôtel à confort modeste, est devenu un vrai monument d'époque, situé en plein centre de Toulouse.

A Toulouse, il vaut mieux se lever tôt. A huit heures du matin, on a toutes les chances de découvrir la ville encore fraîche après la nuit. Les pierres et les pavés ne sont pas brûlants, les touristes n'assaillent pas encore les terrasses de cafés, le marché des bouquinistes n'est pas encore installé... Allons nous mettre au café "Le Florida" sur la place du Capitole. C'est le grand café "Art nouveau" du centre-ville. Le garçon, souriant et généreux vient vers nous. "Ça va bien, messieurs, mesdames?" - "Ça va, merci. Deux petits déjeuners, s'il vous plaît..." Nous voilà en train de déguster des crois­sants au beurre frais, du jus pressé et du café au lait. Le petit déjeuner sur une terrasse fait partie de la culture française! Mais pressons-nous maintenant, nous avons encore des choses à voir.

Tout d'abord, les cathédrales de Toulouse. Ça vaut vraiment le coup de les visiter tôt le matin, quand on perçoit mieux toutes les nuances architecturales liées au jeu de lumière... A Toulouse il faut absolument voir deux églises: l'église et le couvent des Jacobins et la basilique Saint-Sernin. La première est la plus grande, la seconde est la plus majestueuse. Laquelle choisir, laquelle préférer?

Le chef-d'oeuvre des Jacobins fut légué à la ville par les Dominicains, qu'on appela aussi Jacobins parce que leur couvent de Paris se trouvait rue Saint-Jacques. L'égli­se et le couvent furent terminés au milieu du XIVe siècle. Cet ensemble, joyau du gothique méridional, était alors très apprécié. Le pape Urbain V décida même d'y faire transférer les reliques de saint Thomas d'Aquin en 1369. Mais, au XIXe siècle, les officiers de l'armée qui occu­paient le couvent, le trouvèrent sans intérêt et entamè­rent des travaux de restauration. Aujourd'hui les "Jaco­bins" est l'exemple type de l'architecture des Domini­cains: l'austérité et la rigidité quasi militaires à l'exté­rieur, l'élévation de l'âme à l'intérieur. La double nef symétrique, divisée par une rangée de très hauts piliers, comparés à des palmiers, est impressionnante. Le cloître a une douceur toscane. La chapelle funéraire de Saint-Antonin est ornée de magnifiques peintures du XIVe siècle. Le visiteur du couvent est complètement absorbé par le volume, la hauteur, la grâce...

La basilique Saint-Sernin, qu'on aperçoit de la rue du Taur, près de la place du Capitole, est une belle réa­lisation de l'époque romane, restaurée par l'architecte Viollet-le-Duc, au XIXe siècle. On sait qu'au début du Ve siècle les restes du saint Saturnin (dont le nom fut déformé en Sernin) furent transportés dans une église élevée à l'endroit d'actuelle basilique. Aux alentours de l'an 1000, Saint-Sernin était une étape indispensa­bles pour les pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle. Au XIe siècle on entreprit la construction d'une plus grande église, qui ne fut achevée qu'au XIVe siècle. Au XXe siècle, on s'aperçut que les travaux de Viollet-le-Duc se détérioraient et on décida de les reprendre. Mais, cette fois-ci, on voulut "dérestaurer" Saint-Sernin et revenir à son état antérieur, de style romain. Aujourd'hui, que les travaux sont terminés, les avis des toulousains sont partagés: il y en a qui le préfèrent, d'autres l'apprécient moins.

La façade de la basilique mérite le détour. L'une de ses cloches du XIVe siècle fut classée "monument histo­rique". Il est assez difficile d'admirer l'extérieur de la Saint-Semin, qui se trouve au centre d'une toute petite place, et ne permet pas d'avoir du recul. Par contre, son intérieur est splendide par une belle journée. Aucun éclairage ne peut compenser les dé­ficiences éventuelles du soleil, sans lequel on aura du mal à apprécier la grandeur de l'ensemble et la richesse du décor.

Entre midi et trois heures, à Toulouse, on fait la sieste. On peut profiter de cette pause obligée pour s'enfermer dans une piè­ce bien aérée, aux volets fermés, et relire quelques pages de "Vol de nuit" ou du "Pe­tit Prince", ou feuilleter le gros livre de Jo­seph Kessel sur Jean Mermoz, dont quelques pages sont consacrées à Toulouse.

Plus tard, reprendre les rues étroites du centre de Toulouse pour sentir, cette fois-ci, son côté plurinational et multiculturel. A Toulouse il y a un peu de tout, Toulouse est une ville "étrangère". Italienne? - elle l'est sans doute, il suffit de regarder les balcons en fer forgé ornés de pots de fleurs, les faça­des renaissantes de ses palais - pourquoi ne pas admirer l'hôtel Assézat avec sa loggia d'opéra italien, qui abrite la fondation Bemberg, une des plus belles collections privées du monde. Argentine? - elle l'est aussi, avec son café "Le Florida", qui porte le nom d'une rue de Buenos-Aires, et la mémoire du dieu du tango Carlos Gardel, né en 1890 à Toulouse. Il ne faut pas oublier que Toulouse fut reliée à la capitale argentine grâce aux vols de l'Aérospatiale. Espagnole? - il y a peu de villes françaises aussi espa­gnoles que Toulouse, avec ses affi­ches de corrida à "Tantina de Burgos", sa cuisine basque à "Los Paquillos" et ses tapas à "Casa de Manoio". Toulouse est aussi africaine, cubaine... encore une fois italien­ne... et très française!

Les restaurants... Il est inutile d'en parler, à Toulouse, il y en a partout, et de toutes sortes. Ils sont sympas, touchants, bien décorés, ouverts à tous les publics. Les ma­gasins...  il y en a de très chics, des moyens, des pas chers, bref, pour tous les goûts. Il suffit de se promener le long de la rue Saint-Rome ou la rue Gambetta... Les librairies... l'une des meilleures librairies de France - "Ombres blan­ches" - se trouve rue Gambetta, à Toulouse.

Que dire de plus? Toulouse est belle, agréable, ri­che, rosé, jeune, marrante, attrayante. Il faut la visiter pour trouver d'autres épithètes !

 

Svetlana TCHESNOVITSKAÏA

Rédactrice en chef des Guides du "Petit Futé", Moscou

 

(“La langue Français” ¹ 10, 1999)